2021, comme ses prédécesseurs, est une année « politique » : surmédiatisation de ses représentants, multiplication des canaux de prise de parole, début de campagne présidentielle… Déclin pour les uns, ascension pour les autres, les règles de ce « jeu » où la presse occupe un rôle phare, ne datent pas d’hier. Ce n’est pas Maupassant qui nous contredira, puisque son Bel-Ami n’a jamais été aussi actuel ! (Re)lisez-le vite, il y a tout à parier pour que les personnages de l’œuvre vous en rappellent quelques-uns !
2021 : Bel-Ami est toujours journaliste
Décrit par Maupassant comme un bel homme dont toutes les femmes qu’il croise tombent amoureuses, blond et très apprêté jusqu’à la moustache, nous choisirons pour notre part le parti d’un Bel-Ami sans visage, en nous concentrant uniquement sur sa personnalité, puisque c’est grâce à elle que Bel-Ami revient en 2021.
Ce dandy opportuniste démarre sa carrière et sa représentation parisienne en tant que pigiste, puis journaliste jusqu’à la direction de la rédaction.
Troublante relation que celle entre les médias et la sphère politique, aussi bien dans l’œuvre de Maupassant que de nos jours… Qui parmi nous, humbles spectateurs, n’a jamais pris conscience de cet étrange lien voire aliénation qui subsiste entre la presse et la politique ? Elles se haïssent, se réconcilient, s’humilient tant et si bien qu’on ne saurait dire laquelle des deux est la plus dépendante de l’autre, actrices de l’éternelle tempête d’orgueil, d’ambition, de pouvoir et d’argent qui souffle sur le monde. Nous sommes au milieu, pauvres girouettes ne sachant plus à quel diable de ces deux entités nous vouer.
De Bel-Ami à nos « journalitiques » actuels, la liste et les dents sont longues.

2021 : Bel-Ami est toujours parvenu
Il est pourtant le premier à critiquer ceux que nous nommons familièrement « les nouveaux riches » ; ceux qui trônent fièrement dans les soirées mondaines, qui côtoient des lieux où seule la vraie noblesse avait, en son temps, accès.
Les parvenus du roman de Maupassant sont les mêmes que ceux d’aujourd’hui, bien que ces derniers soient plus scandaleux. Ceux-là mêmes que Bel-Ami critique et méprise parce qu’ils sont plus hauts ou plus bas que lui socialement, mais qui pourtant, sont comme lui ! En effet, lui aussi en est un de parvenu, bien qu’il soit plus fourbe et plus subtil que la plupart d’entre eux. Fils de paysans normands, sa tentative d’ennoblir son nom de famille est volontairement rendue grotesque par Maupassant.
Bel-Ami est toujours parvenu en termes d’éducation, mais aussi toujours parvenu à ses fins politiques ! Nos politiciens-journalistes actuels se trouvent à nouveau visés : des petits d’hommes et bonnes femmes parvenus jusque dans les hauteurs des arcanes médiatiques et/ou gouvernementales, cela ne manque pas.
Bel-Ami initialement journaliste, sera assurément député ou ministre, au dire de nombreux personnages du roman. Bel-Ami se poursuit de nos jours : vous n’avez qu’à choisir son successeur qui vous amuse le plus ! Choisissez-le tout de même fin et habile pour faire honneur à la plume de Maupassant.

2021 : je suis Bel-Ami
Réalité plus troublante, n’avons-nous pas tous une part d’ambition, même infime, qui fait écho à celle, ultra-imposante et omniprésente de Bel-Ami ? Levez la main avec moi ceux qui, à la lecture du roman, n’ont pas ressenti un amusement familier bien que cynique, en découvrant les stratagèmes mis en place par le jeune Duroy ! Mieux, vous aussi, vous avez sans doute admiré son habileté et ce véritable art de toujours parvenir à ses fins. Parvenu jusqu’au bout, toujours… Vous avez également admiré son ascension fulgurante, applaudi ce succès qui ne peut qu’être mérité devant tant d’audace ! Peut-être aussi que, comme moi, vous l’avez plaint d’être dénué à ce point de sentiments louables, trop occupé à s’aimer lui, au gré des miroirs qu’il rencontre, pour aimer qui que ce soit d’autre, pas même ses pauvres parents.
Malgré son origine modeste, l’ambition de Bel-Ami est telle qu’elle ne peut lui permettre de rester dans le cercle des communs des mortels. En raison de toutes les actions qu’il entreprend, toutes les idées, les réflexions qui lui viennent et qu’il ose, Bel-Ami l’antihéros, Bel-Ami le bourreau des cœurs, Bel-Ami le cauchemar des Parisiens, devient un personnage exceptionnel.
De tels destins, il y en a eu, mais nous avons toujours assisté à leur chute. C’est peut-être ce qui rend Bel-Ami si mythique : le roman s’achève lorsque Georges Duroy est au sommet de son ascension sociale, et nous ne pouvons qu’imaginer, non sans difficultés, ce que pourrait être son déclin. Avec nos « beaux-amis » actuels, nul besoin d’imaginer : il y a juste à attendre.
Heureusement, nous aurons toujours les romans pour nous permettre d’entretenir le pouvoir de notre imaginaire, de nous y réfugier parfois, de nous inspirer souvent.
De Bel-Ami à notre tableau actuel, il ne manque aucun sujet et les échanges sont aisés entre l’un et l’autre. Finalement, le seul qui manque pour que le chef-d’œuvre soit complet, c’est Maupassant ; et c’est probablement ce qui est le plus dommage.
